Élément sacré
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« Vois, mon divin époux, la finesse de ce blanc manteau qui de sa
fraîcheur recouvre la terre des hommes. »
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« Skadi, mon amour, je n’observe qu’une couleur unique qui dénie aux
autres la vie. »
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« Njörd, flamme de mon cœur, patientons afin que le crépuscule te révèle
le reflet de chatoiements uniques sur l’immaculé. Le ravissement de tes yeux
réchauffera ton âme engourdie. »
Le
dieu de la mer, du vent et du feu soupira. Son propre esprit ne pouvait
imaginer plus grand émerveillement qu’un coucher de soleil sur une mer d’huile.
-« Je
me sens si loin de l’océan et de ses teintes bleutées, de son mouvement
perpétuel. Comme tout est figé ici ! »
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« Ce n’est qu’apparence, maître du vent : la bise modèle indéfiniment
la parure du septentrion. Congères, sentiers éphémères, tourbillons
éthérés… »
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« Mais ce silence. Il nous enserre de sa solitude et comprime notre
poitrine. »
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« Jamais donc ton ouïe n’a perçu l’écho fantastique des terrifiantes
avalanches ? »
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« Rares sont ces impressionnants phénomènes. »
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« Le silence permet la pureté des sentiments et des sensations. Il invite
à la paix intérieure. Sans lui l’existence ne serait que vaine
agitation. »
Nouveau
soupir de l’époux. Il fixa son regard
dans les yeux de sa compagne d’un jour et y observa l’éclat froid de
constellations infinies. La déesse de l’hiver révélait des charmes à la fois
profonds et subtils ; mais le tempérament fougueux de Njörd
s’accorderait-il un jour à l’immanente plénitude de Skadi ?
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« Mon bouillonnant époux, je vois que ton besoin d’action grandit à chaque
instant ! Vois donc, par-delà l’éperon rocheux, ces humains qui
trouvent d’étonnantes occupations au sein de mon élément. »
À
une grande distance des deux esprits évanescents, une femme chaussée de skis s’élançait,
légère et gracieuse, dans la poudreuse. De fins nuages opalins virevoltaient
dans son sillage. Njörd admira son habileté et perçut l'intense plaisir
ressenti à ce jeu. Un homme prit la succession de la skieuse mais, manquant de
souplesse, il s’effondra bien vite dans un stratus pulvérulent. La douleur fut
immédiate et Njörd, empathique, jura à sa suite. Une fois la neige retombée autour
de l’humain, le dieu fit part à sa compagne de ses doutes :
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« Cet art semble causer autant de douleur que de bonheur. »
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« Ses débuts sont prometteurs. Crois-moi, glisser représente l’un des
grands plaisirs de la vie ; on en vient à connaître chaque type de neige
selon sa tenue et l’on s’adapte avec bonheur. Mais cessons ici de nous
préoccuper des humains et de leurs actions : contemple plutôt ce
paysage. »
Bougon,
le dieu laissa promener son regard sur les immenses étendues.
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« Je trouve cela monotone. »
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« Tu vois sans véritablement observer. Change ton regard. Passe de la
grandeur au détail, et voit comment se constitue cet élément sacré. »
Skadi
souffla sur la poudreuse en direction du soleil. Njörd utilisa sa vue divine et
observa alors en détail chaque flocon. Sa compagne ne put résister à l’envie de
les décrire :
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« Ils sont ciselés à l’instar d’un diamant opalescent forgé par un maître
orfèvre. Une perfection absolue, une symétrie sublime. Chaque cristal est un
motif unique et fabuleux, une invitation à l’émerveillement. C’est tout
l’inverse de l’uniformité. »
Njörd
se laissa prendre au charme, mais les cristaux finirent par fondre et
disparaître.
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« Une véritable beauté, mais si éphémère… »
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« N’est-ce pas ce qui en fait le charme, mon amour ? Une splendeur
sans cesse renouvelée et sans cesse différente. Mais voilà que l’instant
magique approche, bienaimé, et les paroles vont devenir inutiles. »
À
l’horizon, le soleil achevait sa course éternelle et la voûte céleste se drapait
de teintes rosées. Son rayonnement devint plus subtil, plus personnel, et la
neige refléta les lueurs enchanteresses dont se paraient ses cousins les
nuages. Le temps passait comme un rêve pour les deux amoureux. Le ciel
répondant au sol se muait en une symphonie de couleurs : l’orangé,
maintenant, côtoyait avec goût des nuances carminées. Le gris donnait davantage
d’éclat à la palette chatoyante et la chaleur visuelle compensait
harmonieusement la fraîcheur qui montait de la terre.
Njörd
allait admettre que cette vision majestueuse valait bien celle du coucher de
soleil sur la mer lorsque la nuit tomba. Un ciel d’encre fit place et la neige
devint grisaille. Des loups au loin hurlèrent le commencement de leurs traques
et le dieu frissonna : le bruit des pattes, amorti par la poudreuse,
laisserait peu de chances aux proies. Cet environnement était fondamentalement
hostile.
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« Ma mie, je crains que ce crépuscule soit également celui de notre amour
naissant. Je ne pourrais me résoudre à ce froid lunaire trop rarement
entrecoupé de rayons bienfaisants. »
Skadi
se tourna vers lui et caressa son visage.
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« Mon bienaimé, je suis prête pour toi à passer la moitié de l’année sur
les rivages répercutant le cri inlassable des mouettes se mêlant aux ressacs
des vagues. »
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« Alors, mon amour, je t’accompagnerais l’autre moitié de notre temps vers
la blancheur absolue de tes neiges éternelles. »
Cette
déclaration d’amour scella leur union et l’on dit que la couverture neigeuse de
Skadi n’empêcha pas la flamme commune de leurs cœurs de s’épanouir sans
crainte. Peut-être est-ce ce que nous ressentons lorsque nous observons, au
coin du feu, la neige tomber dehors en abondance et tout recouvrir de son
manteau feutré…
Absolument magnifique !
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